études critiques

Émilie Bouvard
HESSIE, FIGURE DE L’EXCEPTIONNEL
mai 2015

 

Hessie fait partie des rares artistes femmes exposées régulièrement dans les espaces d’art contemporain français au milieu des années 1970. Pour mémoire, le CNAC, structure de préfiguration du futur Centre Pompidou, expose 5% d’artistes femmes entre 1968 et 1977. L’Atelier de recherche contemporain (ARC), créé en 1967 au sein du Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, consacre 16% des ses expositions monographiques à une femme avant 1985. Hessie fait partie de la vingtaine d’artistes femmes élues, dont la plupart appartiennent par ailleurs à des groupes féministes. « Survival Art », en 1975, marque l’histoire de l’ARC. Elle apparaît également en 1976 dans l’exposition « Boîtes ». Hessie expose au Salon de la Jeune Peinture, dans la phase de son histoire la plus politique, avec des collectifs d’artistes femmes, en 1975 et 1977, et elle fait partie de la petite dizaine d’artistes qu’Aline Dallier, figure historique de la critique d’art féministe, montre à New York en 1976 pour l’exposition collective « Combative Acts, Profiles and Voices » à la galerie coopérative féministe Artists in Residence (AIR) (Bernadette Bour, Hessie, Milvia Maglione, Françoise Janicot, Nil Yalter, Nicole Croiset, Judy Blum, Mimi). Elle fait partie du collectif Femmes/Art et organise en 1978 une exposition dans son atelier pour ce collectif. Au cours de ces années, elle est aussi exposée chez Iris Clert, Yvon Lambert. Elle entrera dans la collection du galeriste Daniel Cordier (Musée national d’Art moderne, déposée aux Abattoirs, Toulouse).

Pourquoi cette disparition à l’aube des années 1980 ? Par-delà l’histoire personnelle, on peut invoquer différents contextes. Si les artistes femmes font des entrées isolées dans l’art au cœur des années 1960, les années 1970 marquent le temps des organisations collectives. La décennie suivante marque au contraire un reflux – Niki de Saint-Phalle est ainsi la seule artiste à faire l’objet d’une exposition monographique au Centre Pompidou (1980) avant Marina Abramovic et Ulay (1990) et enfin Charlotte Salomon (1993), Marisa Merz, Mona Hatoum ou Judith Reigl (1994). Les représentations ont la vie dure. De plus, le travail d’Hessie a été exposé et reçu dans des contextes féministes qui ont orienté une lecture féminine de son travail, à double-tranchant, et dont la force se perd avec le reflux du féminisme, qui n’a pas réussi à imposer un véritable courant « textile ».

Il faut donc revoir le travail de Hessie et parvenir à articuler les différentes dimensions qui nourrissent sa pratique, difficile en réalité à associer à tel ou tel courant ou groupe. Il faut en revoir l’exceptionnelle contemporanéité et singularité. Contemporaine, Hessie l’est effectivement sur le plan du genre, associant une activité féminine à une plastique abstraite et conceptuelle, sans que l’on puisse dissocier ces deux dimensions, ce qui explique peut-être qu’elle ait été montrée chez Yvon Lambert. On songe à Agnès Martin. De même, cette force conceptuelle s’articule avec une forme d’automatisme qui manipule des matériaux trouvés, ce qui a peut-être intéressé Daniel Cordier dont la collection associe Art brut, post-surréalisme et Art conceptuel. Hessie pratique ainsi un métissage des formes et des pratiques, associant réflexion et spontanéité, fascinante dans le paysage contemporain d’aujourd’hui.

 

— Émilie Bouvard est conservatrice du patrimoine chargée des peintures (1938-1973), de l’art contemporain et responsable du pôle éditions et recherche du Musée national Picasso-Paris, auteure d’une thèse en cours portant sur la « Violence des artistes femmes. 1960-1985 » (Paris I, sous la direction de Philippe Dagen).

[Cet article est initialement paru dans le catalogue Hessie : Survival Art 1969-2015, Paris, Galerie Arnaud Lefebvre, 2015, p. 15-16.]