expositions personnelles

« Survival Art : Hessie »
ARC 2, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris
12 février – 16 mars 1975


> Carton d’invitation recto de l’exposition « Survival Art : Hessie »,
ARC 2, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1975.


> Communiqué de presse « Hessie : Survival Art »,
ARC 2, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1975.


> Survival Art : Hessie, catalogue d’exposition,
Paris, ARC 2, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1975, n.p., texte de Jean-Luc Verley.

ARC 2, communiqué de presse « Hessie : Survival Art », Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1975, deux feuillets recto (fonds  Yves Kovacs –  Bibliothèque Kandinsky).

[Premier texte]
Hessie utilise comme support la toile naturelle tendue sur châssis. Avec des gestes usuels et des constituants primaires : une bobine de fil/tube de peinture, une aiguille/pinceau, elle tisse parallèlement à la trame du support une autre trame fragile, signifiante, de rapports primitifs essentiels et vitaux au quotidien et à son environnement.

Traces précaires pour survivre. «Survivance symbolique de choses en voie de disparition devant la menace technologique».

Patiemment, elle élabore un code simple et secret : «végétations», «grillages», «bâtonnets» constituent l’alphabet élémentaire d’un monde peut-être déjà perdu.

[Second texte]
Traces précaires pour survivre. «Survivance symbolique de choses en voie de disparition devant la menace technologique».

Hessie utilise comme support la toile naturelle tendue sur châssis. Avec des gestes usuels et des constituants primaires : du fil, une aiguille, elle tisse parallèlement à la trame du support une autre trame fragile, signifiante, au-delà d’une première lecture purement formelle, de rapports primitifs essentiels et vitaux au quotidien et à son environnement.

Code élémentaire et secret : «végétations», «grillages», «grillages», «bâtonnets» – inscriptions ambiguës – tel le premier alphabet.

Survival Art parce que cette recherche des éléments originels et permanents oubliés déjà, peut être, ou inconscients, s’apparente à un refus – celui de l’individu de perdre son identité.

Jean-Luc Verley, « À bâtons rompus : Survival Art, bâtons pédagogiques et écritures d’Hessie », in Survival Art : Hessie, catalogue d’exposition, Paris, ARC 2, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1975, n.p.

D’innombrables générations d’enfants ont soigneusement aligné sur leurs cahiers     d’école des rangées de « bâtons », verticaux puis obliques ou même horizontaux, sous l’œil d’un maître attentif à toute distorsion. Cette activité millénaire (déjà pratiquée à l’école des scribes ?) est traditionnellement préliminaire à l’écriture, à la description codée du langage et du monde : avec la nécessité répétitive de tout apprentissage, l’enfant acquiert la maîtrise et le contrôle de sa main qui répète le même signe élémentaire à partir duquel il tracera ses premières lettres – en caractères bâtons, comme disent précisément les imprimeurs.

Il n’y a pas lieu ici d’épiloguer sur le choix du segment de droite comme constituant premier mais il est certain que la transitivité du parallélisme est un gage de répétition inaltérée : si le premier bâton est parallèle au second, le second au troisième …, l’avant dernier au dernier, alors le premier sera parallèle au dernier !. Dès l’école maternelle, l’enfant apprend donc à écrire le monde à partir du Bâton (classique symbole de l’Ordre) sous l’œil bienveillant du « Dieu des parallèles » dont l’autorité a pourtant été sérieusement ébranlée depuis qu’on sait qu’il peut ne pas exister ou être multiple. Quant au segment, partie de la droite infinie et plus court chemin d’un point à un autre, c’est une conception  abstraite de mathématicien. Mais direz-vous, et nous sommes bien-sûr d’accord, la description alphabétique du monde est nécessairement sa reconstruction à l’aide de signes abstraits ! Hessie le sait, mais elle laisse à d’autre la réduction du monde aux seuls signes imposés et laisse son œil vagabonder sur les objets qui l’entourent : dessins de formes microscopiques, traces d’animaux, végétations flottantes, quadrillages et grillages tracés par des animaux ou un élément naturel, mais tout autant fils barbelés ou fragment déchirés, salis. Ainsi se constitue, à partir de la nature mise à nu et perçue dans ses manifestations les plus intimes et les plus élémentaires, tout un itinéraire d’images et d’idées.

Ces tissus (cette issue) d’Hessie sont la survie des lignes les plus simples, puisées dans la réalité extérieure, qui accèdent à un statut par la discipline répétitive. Par rapport à un monde dont de nombreux aspects la blessent, elle élabore une forme de culture alphabétique primaire qui traduit ses tentatives et ses difficultés propres de survie. Ce dernier mot a un caractère à la fois dramatiquement collectif et profondément, tragiquement individuel. Il exclut pour Hessie toute complaisance calligraphique, toute recherche du geste unique, privilégié. La répétition des signes dans les travaux d’Hessie évoque pour moi tant la danse des phosphèmes (qui échappe totalement à notre contrôle) que l’immobilité des bactéries, fixées et colorées, d’une préparation microscopique.

Survivre est en effet aussi pour Hessie un besoin d’exprimer dans un état FIXE des signes et des formes qui se dégradent, s’effritent tout autour d’elle et cela donne à son travail un caractère obsessionnel qui rejoint celui de certains graffitis. Les signes qu’elle cherche à retenir sont en mutation permanente entre le choix, le rejet, la récupération en tant que déchet ou à partir du déchet. Comme elle le dit : « la survie est une mutation comme une autre », ou « la survie est inscrite dans le quotidien et sort de l’égout ».

À travers cette appréhension alphabétique des déchets de la civilisation – qui est à la fois préhension, et refus plein d’appréhension – Hessie donne/redonne en les découvrant/redécouvrant un nouveau sens à ces bâtons d’où nous sommes partis (sur les bancs de l’école, ou dans ce texte) : ses bâtons pédagogiques sont-ils un pas vers la réconciliation de la carotte et du bâton ? Hessie pense plutôt le contraire …

Jean-Luc Verley, notes d’exposition « Survival Art : Hessie », Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, 1975, trois feuillets recto miméographiés (dossier « Hessie ARC, 1975 »).

[Page 1]
Certains rituels d’une tribu d’indiens du Canada étaient tout à fait incompréhensibles aux ethnologues jusqu’au jour où l’un d’entre eux découvrit tout près les traces d’un lac desséché depuis plusieurs siècles : réduits par le temps à un squelette sémiologique, il y avait survivance de gestes usuels liés à la pêche, la fabrication des filets, le culte de l’eau — mémorisation et commémoration. Je pense aussi à l’Égypte de l’époque romaine où les artisans continuaient à recopier, en les déformant, les hiéroglyphes dont ils avaient perdu le sens. Il y a dans le travail d’Hessie cette survivance symbolique des choses en voie de disparition devant la menace technologique : signes d’écritures, frêles végétations.
Mais à côté de cet aspect proustien, lisons le Petit Robert au mot survivant : «Qui a échappé à la mort là où d’autres sont morts», avec le renvoi à rescapé. Hessie, dans sa condition de femme noire, a déjà très bien compris sans qu’il lui soit nécessaire de lire la citation du dictionnaire qui illustre la définition précédente : N. (Cour) Il n’y a pas de survivants, tous sont morts. Et alors, comme nous le rappelle régulièrement l’actualité (me permettra-t-on, ici, de parler des trompettes de Géricault ?), tous les moyens sont permis pour survivre. Comme Hessie l’a dit ailleurs, les poubelles des riches sont un festin pour les pauvres: les déchets sont récupérés, détournés, transgressés par elle pour devenir des accessoires d’imagination. À partir des constituants primaires — tissus, fils, boutons — du plus vieil artisanat de l’humanité se construit cette écriture, cette respiration, dont la simplicité graphique échappe à l’étouffement, à la mort par asphyxie, tandis que s’instaure un rythme de convalescence qui s’assure dans sa répétition même.

[Page 2]
PETITE CHRONOLOGIE

Travaux avec fils sur tissus
bâtonnets alphabétiques
boucles – végétations
végétations flottantes
fils noués
grillages
Tissus troués – boutonnières
multiféminisation ou masculin-féminin
Déchets-collages et déchets-boîtes (nourriture d’idées)
Boutons sur tissus (accumulation: galaxie ou villes endormies)

[Page 3]
La nécessité de survie s’impose face aux agressions continuelles : en deçà du constat d’impuissance, de la description résignée — attitudes d’intellectuels désabusés — les parcelles les plus modestes arrachées, volées aux difficultés quotidiennes, font vivre tout un monde. Richesse des déchets qui offrent une dégustation gratuite. Tout est ramené dans la survie à des proportions très simples : sur le tissu le plus pauvre, chose première, le fil qui sert à coudre réinvente les bribes d’un alphabet — signes qui sont tout autant végétation, empreinte des choses déjà vues et improcurables.



Vues d’expositions :

Dado au fond

Hessie et Germaine de Liencourt

///Liste des œuvres exposées (non exhaustive)

« Série Bâtons pédagogiques
Série Écriture
Itinéraire des idées composé de :
Végétations Cycle infernal Grillages
et Dessins microscopiques
Bande sonore Bruits de la ville
Tous les dimanches après-midi présentation du film de Mytia Kolesar : “Transe-perce”

Boutons III
Écriture IV »

Probablement :

n° 031 Boutons bleus, 1974-75
Boutons bleus et gris cousus sur tissu de coton, 165 x 295 cm.

n°082 [série végétations], années 70.
Broderie de fils noués gris, rose et vert sur tissu de coton, 124 x 158 cm.

n°083 [série grillages], années 70.
Broderie de fils beige/ocre sur tissu de coton (Thiriez), 170 x 128 cm.

n°089 [série segments géométriques], années 70.
Broderie de fils marron clair et traits de crayon sur tissus de coton blanc, 125 x 110 cm (env.).

n°127 [série écritures], années 70.
Broderie de fils noués vert pâle sur tissu de coton, 204 x 151 cm (env.).

n°168 [série écritures], années 70.
Broderie de fils bleu, marron, orange, rose et vert sur tissu de coton, 40 x 70 cm.

[Sans titre], (No.Inv. MNAM : AM 1989-413) (n°207 [série végétations]), vers 1978.
Broderie au fil bleu sur tissu, 77 x 159 cm.

n°221 [série divers], années 70.
Broderie (et crayon ?) sur tissu de coton. (existence actuelle inconnue)

n°222 [série écritures], années 70.
Broderie de fils noués sur tissu de coton. (existence actuelle inconnue)

n°226 [série végétations], années 70
Broderie de fils rose, mauve et violet sur tissu de coton, 39 épingles, 35 x 48 cm.

n°233 [série grillages], années 75.
Inscription au crayon TUBINO 4031 en haut à gauche, broderie de fil bleu/gris Tubino 4031 sur tissu de coton

n°236 [série boutons], années 75
Boutons roses, gris, marrons, etc. cousus sur toile de coton, 63 x 135 cm. Montée sur châssis. Reproduit dans le catalogue « Boutons III ».

n°239 [série grillages], années 70
Broderie de fils de 3 roses sur tissu de coton cousu en trois éléments, 105 x 78 cm.