Hervé Duetthe
« Notes diverses pour Hessie »
Extrait de « Texte en hommage à HESSIE et DADO, 18/03/2024 »
Hessie ! En fait j’avais rencontré Hessie bien avant de connaître Dado… Elle venait à toutes les réunions de parents d’élèves du collège de Chaumont-en-Vexin et j’avais de suite remarqué sa réelle et intense présence parmi les files de parents qui venaient s’enquérir du devenir scolaire de leurs enfants. Lors des échanges à propos de la scolarité de ses enfants, j’ai pu me rendre compte de l’importance du domaine artistique pour Hessie… l’art était pour elle le terreau nécessaire pour l’accomplissement de son parcours. Pourtant lors des années qui suivirent lorsque je rendais visite à Dado, Hessie restait à l’écart de nos discussions et ce n’est que bien plus tard que je réalisais que Hessie était une encyclopédie incroyable du monde de l’art, comprenant par là même que les connaissances livresques qui pouvaient être les miennes semblaient bien falotes à côté d’un savoir profond nourri de rencontres et d’anecdotes et pourtant, et pourtant je ne savais rien encore du long cheminement créatif de Hessie.
Ce n’est que peu à peu que celui-ci se révélât. Bien plus tard en fait, lorsque Hessie dû faire appel à nous pour pouvoir se rendre à Paris en particulier pour les expositions. Parfois programmées parfois impromptues ces visites étaient vitales pour Hessie, il lui était nécessaire encore et toujours de rester présente à la vie de l’art et nous le savions tous ! Souvent lorsqu’elle nous téléphonait, avec une innocente ruse Hessie commençait par :
« Hervé, j’ai trouvé une exposition qui pourrait être intéressante pour toi !… ». Mais que de moments magiques lorsque dans la voiture nous échangions nos avis sur tel ou tel artiste et que citant un grand nom de l’art Hessie nous répondait : « Ah oui Rothko, je l’ai connu, je me souviens à New York lorsque nous étions dans un taxi, Rothko… etc. », ou ce pouvait être Lucian Freud et tant d’autres encore… Pourtant ce n’était pas toujours facile et je me souviens encore des escaliers du parking souterrain du centre Pompidou alors que l’ascenseur (et cela lui arrivait souvent !!) était en panne… Je me souviens aussi de l’exposition de Ernest Pignon-Ernest à laquelle on ne pouvait accéder que par un immense escalier… j’étais redescendu en bas chercher de l’aide auprès de Ernest Pignon Ernest (il connaissait fort bien Hessie) qui m’a délégué 4 porteurs vigoureux et Hessie a monté l’escalier portée comme une reine…
Hessie était toujours accueillie avec un immense respect dans le monde des vernissages et des expositions et je ne compte pas tout le nombre d’artistes renommés qui venaient la saluer.
Peu à peu, au fil de ces aller et retour parisiens, Hessie avait commencé à m’évoquer le travail de broderie
qu’elle-même pratiquait mais elle me le présentait comme une occupation intime d’une importance limitée et qu’elle n’avait pas très envie de montrer et je l’imaginais comme un travail personnel à l’ombre de Dado, un refuge identitaire en quelque sorte…. Et je faisais là une immense erreur, bourrée je l’avoue de stéréotypes multiples.
Ce n’est que bien plus récemment lorsque j’ai eu connaissance du catalogue de ses réalisations que j’ai pris conscience de toute l’ampleur et l’exigence de l’œuvre de Hessie. Je pense que pour le percevoir dans son intensité il faut d’abord se défier de toutes les idées toutes faites aussi bien celle du couple d’artistes dont la compagne est écrasée par l’œuvre de son mari et cache sa production, que de cet autre stéréotype d’un art contestataire opposant le soft art et l’art officiel imprégné de machisme (ce dernier stéréotype étant plus en vogue actuellement).
Il convient d’abord de réaliser que avant même de rencontrer Dado en 1962 et de l’accompagner en France, Hessie à New York était familière avec le monde de l’art même si elle émettait quelques doutes quant à la lourdeur picturale qu’elle ressentait chez bon nombre d’artistes du Pop Art. Dès sa venue en France pour retrouver Dado elle fréquente Vivianne Forrester, Catherine Francblin, Françoise Janicot, Colette Deblé, Catherine Millet, Vera Molnar, Najia Mehadji et bien d’autres encore… une exposition est organisée dans son atelier de la rue de Choisy en 1978. Parlant de son travail Hessie le nomme « SURVIVAL ART » et le décrit ainsi « L’écriture linéaire, poèmes de nœuds où la mémoire égrène comme un chapelet au travers du temps, éternité des gestes qui englobe les mondes multipliés par le désir de survivre… ». Fabienne Dumont en dit ceci :
« L’espace est ponctué de gestes infimes qui nous obligent à passer mentalement de l’autre côté du miroir, par les espaces créés et par les vides suggérés. La scansion du tissu opérée par ces multiples touches de fil, signes indéchiffrables et silencieux hommages au travail cousu, et le patient ouvrage de mise en forme appellent le silence et le recueillement ».
Et je crois que c’est ainsi qu’il faut comprendre la discrétion de Hessie : son œuvre invite à l’extrême à une invitation au recueillement et au silence, une attention portée au battement du temps, à la scansion des heures, au murmure du monde, une écriture qui est respiration. Les deux côtés de la surface, la survivance non comme un repli, un pis aller comme une douleur qui se cache mais comme une présence extrême aux rythmes de la nature et des choses.
Et en ce sens et en dépit de leur extrême différence je ne pense pas que l’art de Hessie et celui de Dado s’opposent mais qu’ils se complètent. Ils sont comme les deux faces d’une même pièce : Dado portait une attention profonde à la douleur des êtres et aux cris de la naissance de la vie qui s’arrache du néant, Hessie portait une attention profonde aux rythmes à peines audibles de la terre qui germe, de la feuille qui dans un presque silence s’arrache de l’arbre en automne, à la survie des choses ; la survivance c’est plus encore que la vie.