La Main, les Trous, le Temps.

La Galerie Arnaud Lefebvre a choisi d’exposer du 6 au 29 février une série particulière de l’œuvre de Hessie, les « Trous ». C’est d’ailleurs le titre de l’exposition.

Composée de perforations rebrodées, cette «  écriture » insolite de Hessie mérite un examen minutieux. Ainsi, des trous réguliers s’égrènent sur la surface matricielle de coton brut en un ordre bien défini. Parfois, ils sont disposés de manière à rappeler des formes, tels des grilles ou des lettres de l’alphabet.

Ce qui frappe dans ces propositions de Hessie réside en la manière dont ces trous sont composés : comme une blessure, la perforation, suivie de la réparation, la broderie autour des contours de ces mêmes trous, travail d’aiguille dont Hessie s’acquitte avec une pointe de fantaisie et d’impertinence en utilisant des fils de couleurs vives.

Conçu sous la forme de boutonnières fantômes dues au « reprisage du vide », cet alphabet imaginaire de Hessie me semble proche aussi bien de celui de ses perforations sur papiers que de celui de ses « compositions au boutons » dont il pourrait être le pendant. Coudre l’invisible, jouer du plein et du vide. C’est avec une immense poésie que Hessie manie la matière textile, ici.

On pense au temps passé par l’artiste à reconstruire patiemment la forme, ronde, de ces trous à l’aide d’un fil qui va entourer et enserrer cette même forme jusqu’au « O » parfait répété à l’infini comme une exclamation. Ce temps de la création chez Hessie est, on le sait, également celui de la méditation. Chaque geste se déploie dans un ordre bien « défini ».

Le tissu, l’aiguille et le fil, instruments modestes de la création de Hessie convoquent ici le quotidien par la pratique domestique du reprisage, pour mieux s’en extirper par ces balises ténues que sont ces Trous, petits cercles donnant sur le vide. Chez Hessie, le cheminement de la création tient du rituel.

« Une chambre à soi » : l’atelier. Le matériel adéquat, souvent réduit à la plus simple expression. Et puis il y a, je l’écrivais, le temps pour soi, celui de la réflexion. Ces œuvres exposées à la galerie Arnaud Lefebvre ont été réalisées au début des années 1970, époque des combats féministes. Le procès de Bobigny a eu lieu. La loi Veil ne sera votée qu’en 1975. Les femmes se battent pour leurs droits, notamment celui de disposer de leur corps. Certaines compositions de Hessie, et en particulier les perforations sur tissus deviennent des Manifestes féministes presque politiques. En effet, elle brode une série de Trous formant un V, celui de la solidarité et de la victoire à venir des combats de femmes qu’elle n’hésite pas à désigner sous la forme d’un W comme « Women ».

C’est ainsi que la série des trous présentée à la Galerie Arnaud Lefebvre mérite d’être vue sous un angle double : poétique et politique, ce qui fait tout son prix. Nous pourrions même ajouter qu’elle est un témoignage sociologique des années 70, celui d’une artiste particulièrement singulière et engagée.

Yanitza Djuric

(Texte écrit à l’occasion de l’exposition de Hessie « Les Trous » à la galerie Arnaud Lefebvre, du 6 au 29 février 2020).



Trous (grille) (No.Inv.102)
1976

Broderie de fil vert sur perforations sur tissu de coton, 195 x 24 cm.

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Les Trous, Galerie Arnaud Lefebvre, Paris, 2019


Trous (« V ») (No.Inv.115)
circa 1973

Broderie de fils rose pâle sur perforations sur tissu de coton, 161 x 83,5 cm.

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Les Trous, Galerie Arnaud Lefebvre, Paris, 2019


Trous (V et grille) (No.Inv.113)
circa 1973

Broderie de fils rose (V) et bleu (grille) sur perforations sur tissu de coton, 155,5 x 109 cm.

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Les Trous, Galerie Arnaud Lefebvre, Paris, 2019


Trous (4 « V ») (No.Inv.108)

circa 1973

Broderie de fil rose sur perforations sur tissu de coton, 61,5 x 154 cm.

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Les Trous, Galerie Arnaud Lefebvre, Paris, 2019