« Cosmogonies »
Galerie Arnaud Lefebvre, Paris
8 janvier 2015 – 7 février 2015
Commissariat / Sonia Recasens

Exposition collective :
Hessie, Kapwani Kiwanga et Myriam Mihindou

 


> Sonia Recasens (sous la dir.), Cosmogonies : Hessie, Kapwani Kiwanga, Myriam Mihindou, catalogue d’exposition, Paris, Galerie Arnaud Lefebvre, 2015.

 

/// Communiqué
Cosmogonies
est la rencontre de trois univers plastiques autour de la temporalité, de la spiritualité et de la transmission de savoirs et d’énergies. L’exposition est l’occasion d’un dialogue sensible entre les créations de Myriam Mihindou, Kapwani Kiwanga et les œuvres inédites de l’artiste franco-cubaine Hessie. À l’image de la pluridisciplinarité qui caractérise l’exploration plastique de ces artistes, l’exposition met en avant une diversité des médias, en présentant aussi bien de la vidéo, de la photographie, des œuvres textiles que de l’installation et de la performance.
Les œuvres de ces trois artistes s’inscrivent dans une temporalité particulière marquée par la répétition parfois obsessionnelle d’un geste, d’un motif à travers une implication ritualisée du corps. Cet investissement du temps par le corps relève chez ces artistes du rituel de soin, de protection voire de survie. Ce rituel met en jeu aussi bien le langage et ses mécanismes de transmission des savoirs, qu’une histoire personnelle plus ou moins distanciée, ainsi que des matériaux simples du quotidien (coton, corde, tissu…), fonctionnant tour à tour comme des vecteurs-catalyseurs d’énergie et de tension.
Les œuvres éminemment puissantes de Myriam Mihindou, Kapwani Kiwanga et Hessie révèlent «  chacune une cosmogonie particulière, une vision symbolique de l’univers, une conception spirituelle de l’être et du verbe, ouvrant ainsi de nouvelles perspectives ». (Marcel Griaule)

 



> Vues de l’exposition « Cosmogonies »
Galerie Arnaud Lefevbre, Paris, 2015.


>
Table ronde Cosmogonies à l’ENSBA :
avec Hessie, Kapwani Kiwanga, Myriam Mihindou et Sonia Recasens
Jeudi 15 janvier 2015 à 18h en salle de conférences de l’École normale supérieure des beaux-arts de Paris.

 

///Liste des œuvres exposées

Vêtements fatigue « Tubino 2220 » (No.Inv.064), 1973/74
Broderie de fil beige sur tissu de coton, 74 x 70 cm.

Grillage (No.Inv.067), 1980
Broderie de fils beige, gris et marron sur tissu de coton, 71,4 x 72 cm.

Végétations (No.Inv.068), 1975
Broderie de fil vert sur tissu de coton, 107 x 92 cm.

Me reviens (No.Inv.072), 2000
Collage de papiers d’emballage sous toile, 50 x 59 cm.

Broderie dissonante (No.Inv.075), 1985
Broderie de fil bleu sur tissu de coton, 34,5 x 75 cm.

 


Sonia Recasens
[BIOGRAPHIE DE HESSIE]

2015

 

Née en 1936 dans les Caraïbes, Hessie s’exile à New York à la fin des années 1950, où elle travaille dans un atelier de reproduction d’œuvres d’art. Cette expérience la détourne définitivement de la peinture et du figuratif. En 1962, elle rencontre l’artiste DADO (Miodrag Djuric). Le couple s’installe en France dans une maison atelier à Hérouval, où ils reçoivent artistes, critiques d’art et collectionneurs.

C’est alors qu’elle commence à créer, en utilisant des aiguilles, boutons, fils et tissus. En faisant le choix de ces matériaux modestes et banals, elle affirme une pratique aliénante et dénigrée dans une désacralisation de l’œuvre et une subversion de la hiérarchie des arts. Armée de fils et d’une aiguille, l’artiste élabore un répertoire de formes et de signes d’une grande complexité, issue de son observation fine de la nature et des objets du quotidien. Ces formes primaires répétées à l’infini d’un geste obsessionnel, semblent flotter, se déplacer, muter, danser sur la surface du tissu dans un subtil jeu de plein et de vide.

Dans la radicalité de son approche artistique, Hessie donne peu de dates et de titres à ses œuvres, à l’exception de certaines séries comme « Bâtons pédagogiques », « Végétation », « Grillage » ou « Écriture » qui révèlent ses prédilections pour les trames, la flore ou de façon plus obsédante encore, l’écriture. Elle cultive une fascination pour les lettres, l’alphabet comme dessin et comme moyen d’expression avant le mot. Cette fascination est prégnante dans les écritures absconses qu’elle tisse à l’aide de nœuds, de boucles ou de trous jusqu’à saturation de la surface du papier, du tissu. Cette écriture secrète est le fruit de la répétition aliénante d’un geste, propice au recueillement et au vagabondage de ses pensées les plus profondes. Comme si ces dernières s’intercalaient entre les fils, pour remplir les vides et s’incarner dans le tissu. Ce langage symbolique renvoie le tissage aux liens étymologiques, métaphoriques et mythologiques entre le texte et le textile. Depuis l’Antiquité grecque, le tissage évoque l’acte de composer, d’écrire, ou comme l’explique Marella Nappi : « le tissage est une écriture, un art graphique, une tapisserie, la représentation silencieuse et matérielle d’un discours (1) ». Cela éclaire la méfiance de l’artiste pour les discours et son désir de laisser ses œuvres parler pour elles-mêmes et pour elle.

En guise d’introduction au catalogue de son exposition monographique « Survival Art » à l’ARC- Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 1975, Hessie affirme : « No man’s land. L’artiste décline toute responsabilité quant à son identité, tant qu’à sa vie intime, tant qu’aux déclarations à propos de son œuvre (2) ». Cette entrée en matière résonne comme un avertissement et exprime parfaitement la radicalité de la démarche créative de cette artiste autodidacte, cultivant farouchement l’anonymat et l’indépendance. Le titre de l’exposition donne le ton de cette radicalité : « Survival Art », soit un art de survie, pour résister à la dissolution, à la perte, d’où une prédilection pour les déchets, objets obsolètes, ou les matériaux du quotidien, vestiges d’une vie. Hessie explique sa profonde affection pour le tissu, parce qu’il est « l’une des première nécessités de l’homme pour se couvrir, se protéger, se réchauffer ». Le tissu se fait alors enveloppe protectrice, un cocon favorable au puissant processus de mutation de ses constellations de formes et partitions de signes patiemment composées : « la survie est une mutation comme une autre » affirme-t-elle. De cette énigmatique et hypnotique chorégraphie de signes, se dégagent de vibrantes tensions et énergies, comme si quelque chose de vital était en jeu : survival art.

Sonia Recasens

 

1. Marella Nappi, in Françoise Bort et Valérie Dupont (sous la dir.), Texte, texture, textile : Variations sur le tissage dans la musique, les arts plastiques, la littérature, Dijon, Éditions universitaires de Dijon, 2013.
2. Survival art : Hessie, catalogue d’exposition, Paris, A.R.C.2, Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, [1975].