études critiques

Yanitza Djuric
HESSIE ET L’ALPHABET IMAGINAIRE
avril 2015

 

Née en 1936, Hessie est une artiste tout à fait singulière. Elle parle très peu de son travail, élude les questions relatives à celui-ci dans une forme de résistance inédite de nos jours.

Ce sont Aline Dallier et Iris Clert qui ont permis à Hessie d’exposer dans les années 1970 pour la première fois, interpellées par la qualité de ses tableaux brodés où se lisait déjà une expression du « soi », un dit particuliers, fondés par la répétition de signes indéfinissables emplissant l’espace avec obstination.
Plus récemment, la galerie parisienne Arnaud Lefebvre a remis le travail de Hessie en lumière lors d’une exposition collective et s’attache aujourd’hui à la promotion et à la redécouverte de cette œuvre singulière.

Le travail de Hessie repose sur une espèce « d’interrogation lente », identique à celle qu’évoque Pierrette Bloch en parlant de son œuvre, où le procédé formel épouse cette méditation. Ces alphabets imaginaires faits de lignes, de boucles, de perforations que nous invitent à voir les différentes compositions de Hessie, tiennent autant de l’écriture « sérielle » que de celle des origines par leur répétition obstinée, très près de l’oralité. L’artiste ponctue son travail par des épingles, boutons, vieux papiers, éléments quasi rudéraux, nous donnant quelques éléments de son quotidien qu’elle semble retranscrire tout en y réfléchissant. C’est sans doute dans son travail que Hessie, toujours avec économie, mais avec une persévérance qu’il faut saluer, parvient le mieux à dompter le quotidien, tout en nous conviant à une expérience rétinienne inédite dans laquelle l’œuvre ne se dévoile dans l’entièreté de son sens qu’après une certaine « réflexion du regard ».

 

— Yanitza Djuric est commissaire d’exposition depuis 2009. Elle a collaboré avec les artistes Dado, Bernard Berthois-Rigal et Marie Morel. Elle s’attache notamment dans son travail critique à l’exploration des techniques de narration dans une œuvre d’art.

[Cet article est initialement paru dans le catalogue Hessie : Survival Art 1969-2015, Paris, Galerie Arnaud Lefebvre, 2015, p. 21.]