études critiques

Fabienne Dumont
HESSIE, UN ART TEXTILE MINIMAL
mai 2015

 

Hessie appartient au mouvement des femmes qui surgit dans les années 1970 en France, elle apparaît en filigrane de l’ouvrage où je retrace cette passionnante histoire, Des sorcières comme les autres – Artistes et féministes dans la France des années 1970 (PUR, 2014). Hessie fréquente alors les collectifs de plasticiennes qui luttent pour une meilleure reconnaissance de leurs travaux et partagent l’effervescence collective de l’époque – rencontres, discussions, manifestations, expositions, créations… En 1978, elle accueille ainsi une exposition et des événements dans son atelier parisien. En 1975, Hessie bénéficie aussi d’une exposition individuelle à l’ARC, au musée d’Art moderne de la Ville de Paris, et participe l’année suivante à l’une des rares expositions américaines de ces collectifs à la AIR Gallery, une galerie coopérative féministe new-yorkaise.

Son travail s’inscrit dans une approche textile minimaliste, composée de tissus recouverts d’un fil flottant, enchâssés de boutons de toutes sortes qui animent l’espace, à l’instar des petits jouets ou des outils de couture des œuvres baroques de Milvia Maglione. Cet espace sobre, aux couleurs crème, aux jeux subtils, fait écho à la prolifération végétale. L’animation de la surface détourne des savoir-faire anciens et féminisés tout en les articulant à la thématique de la survie, survie qui a du sens pour une artiste qui a fui le régime cubain, puis s’est installée en France en 1962. Les toiles brodées, quadrillées de fils, à la poésie subtile, appellent le recueillement et questionnent notre rapport au temps via cette œuvre digne de Pénélope, poursuivie au cours de plusieurs décennies.

Au moment de la remise à l’honneur de nombreuses artistes des années 1970, Hessie mérite que l’on regarde de nouveau son travail, ces toiles parsemées de fils et de menus objets liés à la couture. Elles évoquent ce travail patient, mesuré, ce rapport particulier au temps et à l’espace qui anime l’artiste et témoigne de cette survie malgré un volontaire repli dans l’ombre de son mari artiste et de ses enfants, un repli qui se redéploie aujourd’hui vers l’extérieur, grâce à l’exposition de ses toiles par la galerie Arnaud Lefebvre. Hessie aura eu le temps, loin des contraintes du monde, de tisser sa « mythologie personnelle ».

 

— Fabienne Dumont est historienne de l’Art, professeure à l’EESAB et critique d’art. Sa thèse est devenue un livre, Des sorcières comme les autres – Artistes et féministes dans la France des années 1970 (PUR, 2014) et elle a édité l’anthologie La Rébellion du Deuxième Sexe – L’histoire de l’art au crible des théories féministes anglo-américaines (1970-2000) (Presses du réel, 2011). Elle est l’auteure de nombreux textes au sujet des questions féministes, de genre et queer, qu’elle articule à d’autres champs. Ses derniers articles accompagnent les performances de Tsuneko Taniuchi à la fondation Hermès à Tokyo, l’installation d’Andrea Bowers à l’Espace culturel Louis Vuitton à Paris, l’exposition de Marie Preston et « Chercher le garçon » au MacVal ou encore l’exposition de Nil Yalter à La Verrière à Bruxelles. En préparation, un essai monographique, Nil Yalter – À la confluence des mémoires migrantes, du féminisme et du monde ouvrier.

[Cet article est initialement paru dans le catalogue Hessie : Survival Art 1969-2015, Paris, Galerie Arnaud Lefebvre, 2015, p. 23-24.]