études biographiques

Arnaud Lefebvre
AVANT-PROPOS AU CATALOGUE HESSIE : SURVIVAL ART 1969-2015

2015

 

LE DÉBUT DE L’HISTOIRE
J’ai rencontré Hessie la première fois dans la galerie d’Ivana de Gavardie. J’ai vu une femme noire dans un fauteuil roulant, poussé par un ami, qui semblait d’une étonnante joie de vivre. Le besoin des présentations ne s’était pas fait sentir. Elle était curieuse des autres et évoquait avec précision et bienveillance des souvenirs du monde de l’art. Ivana m’a dit qu’elle était mariée à Dado et que sa vie n’avait pas été facile tous les jours avec plusieurs enfants à élever à la campagne et souvent peu d’argent.

Je ne savais pas à ce moment-là qui elle était. J’ai découvert le travail de l’artiste en faisant des recherches sur l’art des artistes femmes en France dans les années 1970. Je pense que c’est par les articles d’Aline Dallier que j’ai vu les premières reproductions de ses œuvres et découvert son nom. C’est une lecture essentielle pour quelqu’un qui veut comprendre cette histoire et l’importance de ses enjeux. Les travaux de Fabienne Dumont et de Diana Quinby m’ont aussi aidé à mieux comprendre le féminisme de cette époque. Le nom de Hessie avait quelque chose d’énigmatique et sur les petites photos noir et blanc c’était difficile de se rendre vraiment compte du travail.

Lorsque j’ai mis un nom sur son visage, le projet de l’exposition « Cosmogonie » avec Sonia Recasens était en cours. Sonia avait de son côté déjà travaillé et publié sur Hessie et nous avons organisé une visite à Hérouval. C’est à cette occasion que j’ai été mis en contact pour la première fois avec son travail. Je dois dire que j’ai ressenti une vive émotion devant les premières pièces que j’ai vues.

HÉROUVAL
L’endroit où Hessie habite ressemble aux tableaux de Dado. On est d’ailleurs accueilli par une baignoire peinte et une fresque sur le mur de la maison. Le lieu du Moulin est composé de plusieurs corps de bâtiments. D’après Domingo, le Moulin servait au départ à faire des jeux de dominos en ivoire vers le début du XXe siècle. La maison était à Daniel Cordier et il la prêtait à Dado pour travailler. C’est là que Yanitza, Malcolm et Amarante sont nés. C’est à la fois beau et abandonné. Hessie vit dans une pièce où s’accumule tout ce dont elle a besoin pour vivre et pour soigner son diabète et sa santé fragile. Ses deux ateliers se trouvent dans une pièce voisine du bâtiment attenant et dans un autre bâtiment à l’étage qui n’est plus accessible aujourd’hui que par une échelle.


(Le Moulin de Hérouval)

 

LES PREMIÈRES PIÈCES
C’est là que Hessie nous a déballé quelques-un des « Grillages » et des autres pièces qui ont constitué sa part de « Cosmogonie ». Dans sa poésie, Ezra Pound dit que les choses « cohere », qu’elles s’accordent les unes avec les autres. C’est un peu ce qui s’est passé pour moi devant les morceaux de broderies posés sur un coin de fauteuil chez Hessie. Comme si mon premier amour du minimalisme avait trouvé un débouché dans une autre voie que l’américaine, avec le même esprit de découverte à partir de moyens élémentaires. Dans son minimalisme, elle fait rentrer « des milliers de frères inconnus » par le rudiment du fil et de son geste, avec juste ce qu’il faut de délicatesse dans le traitement brut de sa broderie. Comme les multiples voix anonymes d’une histoire très ancienne. C’est ce qui se découvrait pour moi dans ses « Grillages », dans ses « Végétations » et aussi dans ses collages de papiers usagés, ses « Machines à écrire » sur tissu, ainsi que dans ses pièces à boutons, ses tissus troués de boutonnières, ses « Points cousus », ses « Bâtons élémentaires », ses « Dessins microscopiques », ses « Bactéries », ses « Écritures » et ses autres créations.

« COSMOGONIES »
Myriam Mihindou et Kapwani Kiwanga ignoraient toutes deux le travail de Hessie avant l’exposition «Cosmogonie». Sonia Recasens a choisi ces deux artistes qui ont adhéré spontanément au travail de Hessie, en y voyant un espace de dialogue possible avec leurs œuvres respectives. Cette exposition de taille modeste ouvrait bien des portes et abordait bien des questions d’actualité par le biais de leur art.

MAIS ALORS QUE DEVAIS-JE FAIRE ?
La tentation s’est présentée de me dire qu’il fallait que j’achète le travail de Hessie et que je le garde pour moi. L’occasion était propice.
Mais il est probable que Hessie n’aurait pas voulu, et finalement peut-être avais-je un plus grand défi à relever en tant que galeriste ?
Un intérêt du Frac Lorraine pour le travail de Hessie a été l’occasion de découvrir de nouvelles pièces gardées dans son premier atelier. Puis à une visite suivante, j’ai découvert encore d’autres œuvres dans son second atelier.
Ce sont en définitive plus de soixante-dix pièces que Hessie m’a présentées.

LE CATACLYSME
Hessie avait dit à plusieurs reprises que c’était humide chez elle et parmi les premières œuvres qu’elle nous a montrées, elle n’a pas voulu que j’emporte une ou deux pièces très abîmées.
Lors des visites suivantes, je me suis rendu compte de l’étendue du désastre. Cette œuvre aussi incroyable était en train de se détruire faute de préservation. Depuis des années et des années, les tissus étaient restés pliés dans ses deux ateliers où elle ne  pouvait plus aller. La poussière s’était accumulée avec le froid, l’humidité, les insectes et autres petits habitants du Vexin français. C’est exactement comme si ses œuvres avaient été laissées telles quelles à la suite d’un mystérieux cataclysme.

Après un sentiment d’effroi devant le spectacle des dégâts, je réalisai aussi l’ampleur de la tâche à entreprendre.

Par un étrange retournement du destin, la « Survie » qui était le titre récurrent de son art était maintenant devenue la condition même de l’existence de ses pièces.
Ou alors est-ce moi qui soudainement comprenait toute la réalité du sens que Hessie lui avait donné depuis longtemps ?…

Ce ravage du temps représentait à la fois un naufrage pour les œuvres et ma chance à saisir.
Comme si les œuvres de Hessie exhortaient à revivre.

LE FÉMINISME
Hessie est inscrite dans le mouvement féministe d’après 1968 en France. Elle est mentionnée dans les travaux d’Aline Dallier qui visaient à faire reconnaître l’art des femmes dans le contexte spécifique de la scène artistique française et à lui donner des bases historiques et théoriques. Hessie a notamment figuré avec une grande «Écriture» dans l’exposition de la galerie A.I.R. à New York organisée par Aline Dallier en 1976 (« Combative Acts, Profile and Voices — An exhibition of women artists from Paris »). Parmi les autres témoignages féministes de Hessie, elle avait mis à disposition son atelier en 1978 pour une exposition/rencontre d’artistes femmes.
Dans une interview réalisée par le Musée Denys-Puech à Rodez en 2002, Hessie dit à Laurence Imbernon qu’elle assistait régulièrement à des réunions d’artistes femmes « où chaque personne apportait quelque chose de tangible », qui se tenaient dans l’atelier d’une amie (Dorothée Selz ?), avec parfois des rencontres dont celle de Lucy Lippard, mais aussi d’autres critiques hommes comme Pierre Restany, ne partageant pas forcément leurs idées mais qui restaient ouverts à l’existence de l’art des autres. Elle parle aussi d’échanges avec Sylvina Boissonnas qui était mécène des Éditions des femmes. Hessie dit également qu’elle est allée vers le féminisme parce qu’elle habitait la campagne et que ces réunions hebdomadaires étaient « son jour d’oxygène ».

TRANSE PERCE
On trouve dans le film expérimental Transe Perce de Mythia Kolesar présenté à l’exposition de Hessie à l’ARC, en 1975, une œuvre-portrait de Hessie ponctué de citations :  « child again, a butterfly, ignorance, innocence, feels the world which englobe him / all my predecessors were anonym / pre-history eating the present / the solar day, the moon day are the smallest unities of time ». Préoccupations d’inscrire les linéaments d’une nouvelle façon de comprendre et de sentir le monde par la voix complice de deux femmes.

Mythia Kolesar, d’origine slovaque, était l’épouse de Jean Dewasne. Elle a réalisé une série de films intitulés : Transe lucide, Transe humance, Transe parence Ideana, Transe fusion, La, Préface à face. La copie DVD de Transe Perce montrée à notre exposition a été fournie par Amarante. Ni le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris ni le Musée de Lund en Suède n’en ont conservé de copie. Il ne nous a pas été possible de comparer jusqu’à quel point la qualité de l’image et du son était altérée par rapport à l’original.

Mythia Kolesar est aussi présente dans une pièce de Hessie exposée au Musée de Lund en 1978 : Boutons bleus, trois femmes dans un paysage: Iris Clert, Marpessa Dawn, Mytia Kolesar.

LA BIOGRAPHIE
Hessie est née le 16 juillet 1936. Elle est de nationalité monténégrine. Dans l’interview du Musée Denys-Puech, Hessie dit qu’elle est d’origine cubaine et que sa mère était anglaise et colombienne et son père hindou et noir. « Chez moi il y avait beaucoup de portes de sortie. »
Hessie a rencontré à plusieurs reprises l’amie juive allemande de sa mère dont elle a hérité du nom.

Son père était comptable et sa mère préparatrice en pharmacie. Son nom de jeune fille est Carmen Igartua Pellot. Hessie est l’aînée d’un frère et deux sœurs. Son premier voyage à l’étranger était en Espagne avec une tante. Puis elle est allée seule à Londres (c’est son premier travail de couture pour se confectionner une robe), en France, à Zurich (dont elle a gardé un mauvais souvenir), en Allemagne, au Canada et à New York où elle a travaillé de 1960 à 1961 comme copiste d’œuvres d’art chez Karman. Elle n’a pas fait d’études de peinture ni de dessin. Hessie dit qu’elle ne sait pas dessiner, mais qu’elle ne s’est jamais inspirée non plus de motifs traditionnels.

Le père de ses deux premiers enfants, Yasfaro et Domingo était un avocat bolivien qu’elle a rencontré en Espagne. Yasfaro est né en Espagne et Domingo à New York.
Hessie a fait la connaissance de Dado à New York. Domingo avait six mois.
Hessie a rejoint Dado en France en 1962.

Arnaud Lefebvre : Et quelle a été ta première impression quand tu es arrivée ici ?
Hessie : J’ai demandé à Dado en chemin « Mais où sont les gens ! » (rires)
A.L. Et en arrivant qu’est-ce que tu as pensé ?
H. Toujours : où sont les gens ? Il n’y avait personne, c’est ça…

Yanitza, Malcom et Amarante sont les enfants de Hessie et de Dado.

Hessie travaillait dans son atelier avant et après l’école des enfants. Hessie ne montrait pas son travail et ses cinq enfants ont peu participé à son élaboration. Yanitza dit que sa mère faisait son art « pour qu’on lui fiche la paix. »

LA FIN DES ANNÉES 1960
C’est une époque liée au mouvement féministe.
Les années 1960, je trouve, c’est vraiment des années, sur tous les plans, de création et d’un renouveau chez les jeunes de l’époque, n’est-ce-pas ? Aux États-Unis surtout, mais je trouve aussi beaucoup en France, et les gens se mettaient en question. Aussi les gens avaient des rêves et je crois que c’est difficile maintenant de rêver.

LES « BACTÉRIES »
Hessie date ses premières œuvres de 1968. Elle les appelle des « Bactéries » car elles étaient faites de tout petits points de broderie en dessinant des formes qui ressemblaient à des bactéries. « C’était vraiment des formes accidentelles et à la fin j’avais sur une bande plusieurs de ces formes toutes très différentes, avec toutes les couleurs différentes que j’ai utilisées. » Son inspiration de départ a été un petit tableau d’une véritable chaussette blanche reprisée qu’elle avait vu au Musée des Arts Décoratifs.

Par la suite, Hessie a fait des dessins microscopiques avec des tout petits points de couture. Les formes sont libres et un dessin apparaît qui évoque des formes de plantes ou d’animaux. On songe au pointillisme de Seurat dans un univers de formes oniriques.

Il y a une volonté de recherche dans l’art de Hessie. Chacune de ses séries montre un esprit d’invention et, considérées ensemble, elles présentent un étonnant répertoire de formes. Ce n’est sûrement pas un hasard si l’œuvre de Hessie a inspiré le mathématicien Jean-Luc Verley. Sa géométrie est marquée du geste de sa main et il y a une grande sensualité dans les œuvres de Hessie, une sensualité « objective ».

LES TOILES LIBRES

Hessie n’a pas voulu faire de peinture. Elle n’a pas fait de tableaux. Elle a plutôt fait des non-tableaux, des toiles libres sans châssis. On pense à Support-surface et d’ailleurs les œuvres de Hessie marcheraient très bien à côté d’une œuvre de Viallat ou de Hantaï.

Julie Bonpas Bernet qui a réalisé l’impressionnant travail de restauration des œuvres de Hessie, a fait la remarque que la technique de la broderie d’une façon générale est utilisée pour embellir ou transformer le tissu cousu, alors que chez Hessie le coton reste du coton, il n’est pas modifié par sa broderie. ll me semble que c’est un parallèle à la préoccupation de Support-Surface et de l’art minimal consistant à sortir de l’idée de composition ou de « peinture de chevalet ». Dans ses broderies, il n’y a aucune espèce d’illusion, le fil et le coton ne sont pas employés pour figurer autre chose que ce qu’ils sont. D’après moi, c’est aussi ce que veut dire Hessie par « je ne dessine pas ». Si une image se forme dans la pièce terminée ce n’est pas parce que la broderie l’a copiée mais parce que la broderie dans son processus même l’a créée.

Les plus « tableaux » de ses œuvres sont les tableaux aveugles faits avec des collages de papiers usagés du quotidien. Certains ont une double toile : une devant et une derrière.

AL. Est-ce qu’il y avait l’idée de Pop Art dedans ?

H. Pas vraiment, pas vraiment. C’était l’utilisation de quelque chose qui te sert en même temps, autrement. C’était un genre de récupération de la vie, quelque part.

Hessie a aussi fait des herbiers. Celui que j’ai vu à Hérouval était presque retourné à l’état sauvage. Ce devait être avant les grands « Patchworks » qui m’ont évoqué les papiers découpés de Matisse, où la figure et la nature reviennent en force sur la toile.
Ils  sont un autre rapport au all-over, à l’équilibre qu’elle accomplit sur la surface entière du coton.

LES « GRILLAGES »
La grille est presque partout présente chez Hessie, sur ses séries de « Grillages », de « Cages », de « Points cousus », de « Trous ». On aurait presque envie de dire qu’elle représente une base de travail. Même ses «Machines à écrire» sur tissu interprètent librement la grille mécanique de son clavier, comme des poèmes flottant en liberté.

Dans ses « Grillages », la forme est composée d’hexagones plus ou moins réguliers. C’est la série qui comporte le plus de pièces dans ce que nous a confié Hessie. L’hexagone permet de couvrir une surface sans hiérarchie de formes. Il détermine un haut et un bas et, dans le mouvement de la broderie, sert de repère pour la ligne suivante. Il enclôt et préserve en même temps et, comme pour l’abeille, c’est un garde-manger, un foyer pour l’avenir.
L’origine des « Grillages » est une cage suspendue qu’elle avait dû confectionner avec du fil de fer pour des poules cayennes « Mille Fleurs », des poules naines avec des plumes aux pattes, qu’on leur avait données. (ref. interview au Musée Denys-Puech.)

LA CHRONOLOGIE

Dans son travail on sent une joie intense du contact avec la matière, de même que le lent mouvement du temps qui passe.

La courbe de création chez Hessie est probablement parallèle à sa courbe de vie. C’est l’idée que nous avons eu en essayant de relier ses séries à sa biographie. Mais plus on essaye d’inscrire la chronologie de son travail dans une histoire personnelle, moins Hessie répond et on reste les mains vides… Nous avons travaillé sur documents, par recoupements et déductions, c’est ce qu’explique Aurélie Noury dans sa présentation.

Tout le monde sait que la toile est tissée avec du fil. D’ailleurs Hessie utilise du fil et du coton ordinaires provenant du marché Saint-Pierre. C’est en manipulant les pièces sans ourlets de Hessie que ça m’est venu. Si l’on rapporte cette réflexion à sa broderie, nous obtenons un processus de génération : le motif et le support sont de même nature, ils s’engendrent mutuellement. Le principe de la naissance est présent dans son travail, mais aussi par extension celui du mythe et de l’origine.

Coudre c’est une chose qu’on peut partager avec tout le monde, parce que tout le monde est obligé de se vêtir, et même si on ne sait pas coudre, n’est-ce pas, ça rejoint quand même le geste de l’autre personne.

AL. Dans les expositions, il y a un grand trou entre 77 et 89, ça fait quand même long… Qu’est-ce qui s’est passé à ce moment-là ?
H. Je vivais autrement.
AL. Ce qui veut dire que tu continuais à travailler quand même ?
H. Bien sûr, bien sûr, mais j’étais plutôt portée par le monde de la musique et voilà…

UNICA ZÜRN
Dans le site impressionnant sur Dado (www.dado.fr), on apprend qu’il a bien connu Hans Bellmer et qu’Unica Zürn était la marraine de Yanitza. Dans un livre consacré à Unica Zürn, une lettre parle d’un livre que lui avait envoyé Hessie. Il y a chez Hessie un sens de l’amitié et un intérêt pour des gens très différents guidés par l’instinct et l’expérience des limites parfois insondables de la psychée humaine.

AL. Hessie, dans le catalogue du Musée d’Art moderne en 1975, il y avait des pièces qui étaient marquées « Cycle infernal », qu’est-ce que c’était ?
H. C’était un peu un trop plein.
AL. Un trop plein ? Qu’est-ce que tu veux dire par là ?

H. J’avais tellement de choses qui — je ne voulais pas exposer, donc c’était l’appellation de ces gens-là. Je faisais des trucs en rond mais — comment s’appelle-t-il ? — le papa de Dorothée Selz m’a dit que j’allais vers la folie si je continuais à faire des trucs en rond… Il était critique d’art pour le magazine Elle.

LE RACISME
Rien dans le travail de Hessie ni dans les documents que nous avons pu réunir sur elle n’y fait allusion. Mais peut-on imaginer que la vie ait été tous les jours souriante pour une femme étrangère noire dans une campagne de l’Oise ? Le Front National a obtenu 28,92 % des voix au premier tour des Cantonales de 2005 à Gisors, la ville la plus proche de chez Hessie, et était présent au deuxième tour des élections.
J’ai subi et je n’ai pas subi, à la fin je me suis dit que je vais voler au-dessus de ça. Mais ça me concerne énormément, énormément.
Il y a plusieurs formes de racisme. Je trouve que le racisme contre le handicap est presque pire que celui contre la couleur de la peau.
Je suis devenue quelque part une handicapée parmi les autres handicapés.

Son féminisme est aussi une lutte contre l’exclusion faite aux femmes. Certaines pièces de Hessie comme Oui/Non, le droit de vote de la femme de mars 1975 (l’année internationale de la femme), font directement référence à un évènement politique ou social comme la pièce citée plus haut, dédicacée à Marpessa Dawn qui était noire. Si l’art de Hessie reste silencieux, est-ce pour autant qu’il échappe à l’époque dans laquelle il a été fait ?
Il me semble que les voix anonymes dont je parlais plus haut sont parentes de celles que l’on retrouve dans la musique afro-américaine, dans le blues et dans le jazz. Elles proviennent d’Afrique et sont liées aux religions qui sortent du monothéisme.


(Hessie, Oui/Non, le droit de vote de la femme, broderie sur tissu, 1975)


Si on est pas très content avec la société, ce qui était mon cas pour plusieurs raisons, dans laquelle on vit, ou si on veut dire à cette société : je peux apporter quelque chose de différent, donc il faut rechercher d’abord en soi-même.

Moi, et mon mari, on n’avait pas le choix de pouvoir voter parce que nous sommes des étrangers, et donc on a dit, enfin, d’après moi, qu’il fallait que l’on fasse quelque chose qui soit quand même une participation dans cette société, n’est-ce pas, comme une personne.

DADO CHEZ HESSIE
Est-ce que Dado a influencé Hessie ? Il me semble que s’il y a influence, c’est plutôt par la négative. Hessie n’a pas fait de peinture, son art reste silencieux et ses motifs sont abstraits.
Hessie dit qu’elle ne voulait pas exposer, et les témoignages rapportent qu’elle ne montrait pas son travail. Ses œuvres se sont fabriquées lentement et en tant que mère de famille, elle ne pouvait pas consacrer tout son temps à sa création.

HESSIE CHEZ DADO
À la remarque que Dado avait souvent peint des « grillages » dans ses tableaux du début des années 1970, Hessie s’est esclaffée : il me l’a piqué !

Il y a un moment de découragement à chercher : « qu’est-ce qu’on peut faire avec dix doigts ? » finalement.

Est-ce que le détachement dont fait preuve Hessie vis-à-vis de son travail passé était déjà inscrit dans la trame de ses broderies ? En tout cas la découverte du désastre qu’ont subi ses œuvres a permis de les voir et de réaliser la portée de son travail.